La mise en œuvre des règles du « zéro artificialisation nette » (ZAN), qui tente de mettre fin à la surconsommation foncière dans les périphéries urbaines, réinterroge les outils d’aménagement dans le tissu urbain constitué. La solution semble simple : densification, recyclage foncier, diversification des fonctions sont les enjeux des principales opérations à venir dans les métropoles et les villes moyennes françaises, mais la question des outils et des moyens à mettre en œuvre est bien plus complexe.
Une tribune signée Philippe Hermet, Directeur de la stratégie et de l’innovation – EpaMarne – EpaFrance
Si certains prônent une méthode « douce » d’urbanisation au coup par coup qui séduit les élus en quête d’apaisement électoral, d’autres s’interrogent sur la réelle portée des accords amiables entre propriétaires, sur le risque d’une approche segmentée des enjeux environnementaux ou le manque de dialogue entre les acteurs.
N’est-ce pas au contraire le moment de réaffirmer les vertus des opérations d’ensemble comme l’outil de la ZAC dans les opérations de reconstruction de la ville sur la ville ?
Et si l’enfant mal aimé de l’urbanisme opérationnel, qui cumule encore de nombreuses critiques (architecture uniforme, forme urbaine monotone et espaces publics stéréotypés), avait encore quelque chose à dire sur la façon de produire des projets urbains de qualité ? Rappelons d’abord que la ZAC n’est pas un objectif mais une méthode qui présente de nombreux atouts. Elle constitue, en premier lieu, un cadre général, concerté, opposable à tous, qui permet d’envisager la réalisation d’un projet à la fois dans son ensemble et dans les différentes étapes de son évolution. Sa prise d’initiative par la collectivité ou un établissement public constitue un acte politique fort. Son cadre juridique garantit un dispositif de concertation et d’information avec l’obligation de démontrer une cohérence, un programme de construction ou de rénovation sur un périmètre défini. Évidemment, la concertation peut et doit dépasser le cadre réglementaire pour se dérouler tout au long du projet et ainsi recueillir les avis et attentes des habitants, désamorcer les oppositions et permettre l’appropriation des sujets complexes de l’aménagement par le grand public. Sans ce principe de dialogue, la rénovation urbaine se heurtera dans les prochaines années à des oppositions de plus en plus virulentes reposant sur la crainte du changement et de l’arrivée de nouveaux habitants. La recherche du consensus repose souvent sur la capacité d’un projet à apporter de nouveaux services (commerces, écoles, espaces verts) en échange de « l’effort » d’une densification raisonnable. La multiplication actuelle des permis de construire « diffus » sans cette vision générale provoquera des contre-effets sans doute mesurables aux prochaines élections. La ZAC s’appuie également sur un bilan financier opposable à tous qui garantit les conditions d’équilibre de l’opération, son suivi et la faisabilité du programme des équipements publics, d’intervention sur l’espace public et plus généralement de l’ensemble des actions favorables à la redynamisation d’un site. Si la tenue obligatoire du bilan financier de la ZAC protège la collectivité des coûts cachés dans les opérations, il convient de réaffirmer ici qu’une densification urbaine ambitieuse comme celle prônée par la loi ne se fera pas sans un important investissement public. Les résultats opérationnels décevants des appels à projet type « Inventons la Métropole » montrent assez simplement que l’on ne peut pas résoudre un problème urbain par une simple réponse immobilière et que l’appel à l’investissement privé a ses limites.
Dans le contexte légal actuel, la ZAC est l’un des rares outils capables de démontrer la cohérence de l’approche environnementale d’un projet et d’en garantir le financement, donc la réalisation. L’évolution de l’analyse environnementale par les pouvoirs publics selon le principe systémique des effets cumulés, analyse pertinente dans un contexte de disparition brutale de la biodiversité et d’effets rapides du changement climatique, rendra de toute façon plus aléatoire la méthode d’urbanisation diffuse. Enfin, rappelons à quel point la ZAC offre les garanties de sécurisation des constructeurs et des investisseurs dans un domaine comme la rénovation urbaine où la maîtrise du foncier est la clef de la réussite. Une vente de charge foncière dans une ZAC à force de contrat avec les constructeurs, même s’il convient d’utiliser des modes d’échange souples avec le promoteur, en évitant par exemple les concours ou en faisant évoluer les fiches de lot pour atteindre un équilibre architectural et financier. La maîtrise foncière en amont est l’idéal, mais en cas de difficulté, c’est bien le projet d’ensemble qui justifie la mise en place de la procédure d’expropriation et ouvre le droit de délaissement.
L’intensification urbaine est sans doute la grande aventure urbaine des trois prochaines décennies dans les principales métropoles françaises, après celles de la Reconstruction et des Villes nouvelles. Ces sujets ne pourront pas évoluer favorablement sans une forte action publique, un corpus méthodologique et des outils opérationnels efficaces. Les aménageurs, particulièrement publics, se doivent d’être au rendez-vous. Le défi est d’autant plus grand qu’il se combine avec une nécessaire adaptation au changement climatique et une aspiration souvent manifestée par les habitants dans les secteurs urbanisés à une non-densification voire à une dé-densification. L’opération d’ensemble est un moyen de tenter de concilier des injonctions en apparence contradictoires. Le projet n’est pas une voie simple, mais l’absence de projet revient à céder à la facilité en repoussant les problèmes à plus tard…
Tribune parue dans RDI Urbanisme – Construction (Revue de droit immobilier – 46e année – mensuelle – No 11- NOVEMBRE 2024)
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