Construire la ville tout en améliorant la biodiversité ? antinomique ? pas du tout ! EpaMarne, le CSTB – Centre Scientifique et Technique du Bâtiment – et le Muséum National d’Histoire Naturelle ont développé – au travers d’une thèse – une méthodologie pour évaluer les interactions entre les systèmes urbains et la biodiversité.
Rencontre avec Aline Brachet, doctorante “Évaluation environnementale de la biodiversité”.
EpaMarne : Dans un contexte d’érosion massif de la biodiversité, quelles sont les pressions qui s’exercent sur la biodiversité ?
Aline BRACHET : Les pressions qui s’exercent sur la biodiversité sont classées en 5 catégories : la perte d’habitats naturels, le changement climatique, les pollutions, la surexploitation des ressources et l’introduction d’espèces invasives. Les activités humaines participent considérablement à ces 5 phénomènes responsables de l’érosion de la biodiversité. Or, la destruction de la biodiversité engendre la perte des services qui lui sont associés et dégrade notre qualité de vie, notamment en ville.
EPA : Quels sont ces services ?
A. B. : Ces services sont multiples et indispensables à la vie humaine. Tout d’abord, la biodiversité nous permet de manger, de respirer et même de nous soigner. La biodiversité, c’est aussi une des clés pour répondre aux problématiques environnementales actuelles : réduction des îlots de chaleur urbains, réduction des inondations, dépollution de l’air et de l’eau… Bref, la liste est longue, mais on comprend rapidement que si nous ne faisons aucun effort pour maintenir les écosystèmes, nous nous mettons en danger.
EPA : Que faire pour limiter notre impact environnemental ?
A. B. : La première étape avant de chercher à limiter notre impact, c’est déjà de savoir l’évaluer et le mesurer de manière objective en intégrant aux études des échelles d’analyse supérieures à celle du territoire et ce, jusqu’à l’échelle planétaire. Le but est de répondre à cette problématique d’évaluation pour un contexte urbain. Les allégations environnementales/biodiversité doivent être accompagnées d’indicateurs calculés via des méthodes robustes et « science based ». Cela permettra d’éviter le « greenwashing » mais aussi de mettre de la visibilité sur les actions des aménageurs (et autres acteurs impliqués dans les projets d’aménagement) en faveur de la biodiversité.
EPA : Comment faire pour limiter notre impact ?
A. B. : Evaluer les interactions entre la biodiversité et le cadre bâti est un sujet complexe qui implique un travail collaboratif et multidisciplinaire. Pour les évaluer objectivement et robustement, il est nécessaire de prendre en compte toutes les interactions qui s’opèrent entre la biodiversité et les systèmes urbains : si la ville est une source de pression, elle peut aussi s’avérer être support de biodiversité si les espaces végétalisés sont connectés entre eux, spacieux et gérer de manière durable. A l’inverse, si la biodiversité est une source de services pour la ville, elle peut tout de même être à l’origine de problématiques sanitaires (allergies) et d’inégalités sociales. L’évaluation doit donc être multicritère, multi scalaire (les interactions s’opèrent à différents niveaux d’échelle) et quantitative. La mise en place d’indicateurs de mesure est indispensable pour accompagner les aménageurs dans une approche performancielle de la biodiversité.
Concrètement, les 5 grands phénomènes qui font actuellement pression sur la biodiversité sont considérés comme des leviers d’actions. En d’autres termes : perte d’habitats naturels, changement climatique, pollutions, surexploitation des ressources et introduction d’espèces invasives sont des indicateurs de mesure, fonctions du jeu d’interactions biodiversité/système urbain.
EPA : Comment les indicateurs de biodiversité sont-ils mesurés ?
A. B. : Pour calculer les indicateurs biodiversité, le CSTB a développé, en partenariat avec EpaMarne et le MNHN, une méthodologie d’évaluation Hybride des Interactions entre la Biodiversité et les systèmes Urbains : la méthodologie d’évaluation HIBOU. Elle combine 4 grands domaines d’expertise :
- L’Analyse de Cycle de Vie (ACV)
- L’écologie
- L’expertise urbaine/bâtiments
- La data science
L’ACV et l’expertise écologique sont deux méthodes complémentaires d’évaluation de la biodiversité. L’expertise écologique permet d’évaluer les impacts négatifs et positifs sur la biodiversité « in situ », c’est-à-dire la biodiversité propre à un site d’étude. L’analyse du cycle de vie permet quant à elle d’évaluer la biodiversité hors site, dite « ex situ ». La biodiversité ex situ est celle qui est impactée tout au long du cycle de vie d’un objet urbain (i.e. impacts de la carrière d’où sont extraites les matières premières, impact du transport des matériaux, de la décharge qui reçoit les déchets de construction après démolition, etc.).
L’expertise urbaine/bâtiment permet de modéliser de manière fiable les différents systèmes qui composent la ville. Elle englobe également les différentes études (thermique, hygrométrique, énergétique, hygrométrique, etc.) en lien avec les services écosystémiques que procure la nature.
Enfin, la data science permet de traiter les données issues des ACV et des inventaires écologiques, d’élaborer des modèles de prédiction d’impact, de calculer les indicateurs et de visualiser les résultats.
In fine, la méthodologie d’évaluation HIBOU permet aux aménageurs de calculer les impacts et bénéfices de plusieurs variantes d’un même projet et d’aider à la décision pour un objectif de réduction d’empreinte écologique.
EPA : Comment optimiser l’évaluation multicritère des opérations d’aménagement qui sont en général très complexes ?
A. B. : Afin d’optimiser les évaluations, il est nécessaire d’encourager la numérisation des données et l’interopérabilité des outils. Par exemple, pour évaluer les impacts des bâtiments sur la biodiversité ex-situ, la méthodologie d’évaluation HIBOU est compatible avec les données de sorties des outils d’évaluation environnementale reconnus par le gouvernement dans le cadre de la future réglementation environnementale (RE 2020). Pour évaluer les impacts des bâtiments sur la biodiversité in-situ, elle fait appel à des inventaires floristiques et à des cartes d’occupation des sols. La numérisation et la mise à jour de ce type de données sont essentielles pour garantir des évaluations au plus près de la réalité du terrain. Enfin, le développement de moteurs de calcul peut, à partir de données spécifiques aux projets, permettre d’automatiser la sortie des résultats.
Ces objectifs seront atteints in fine grâce au développement de la data science, de partenariats et de l’acculturation réciproque aux pratiques de chacun.
EPA : Comment adaptez-vous la méthodologie d'évaluation HIBOU aux spécificités locales des territoires et des projets ?
A. B. : Les spécificités locales des territoires et des projets sont prises en compte notamment via les inventaires floristiques spécifiques au site d’implantation du projet et via les cartes d’occupations de sol. Prenons l’exemple d’un bâtiment : les impacts sur la biodiversité in-situ sont calculés en fonction de la typologie d’occupation du sol de la parcelle initiale (i.e. : dent creuse, terre agricole, etc.) et de la parcelle finale (i.e. : bâtiment avec une toiture gravier, végétalisée, etc.). Les impacts sont aussi calculés en fonction de la localisation du bâtiment, ce qui permet de considérer la variabilité spécifique d’un territoire par rapport à un autre.
La prise en compte de ces différents paramètres est autorisée par la numérisation et la disponibilité/le partage des données.
EPA : En quoi la crise sanitaire a pu montrer l’importance de mieux prendre en compte la biodiversité dans les milieux urbains ?
A. B. : La crise sanitaire a en effet mis évidence le besoin de nature des citadins. Cela s’est notamment traduit par un exode massif des habitants des grandes villes vers les espaces ruraux pour atténuer les effets du confinement.
La ville occupe un espace toujours plus important, mais héberge de nombreuses espèces animales et végétales. Elle doit à ce titre être intégrée de façon renforcée aux stratégies de conservation de la biodiversité. Cela amène à s’interroger sur le principe de densification des villes plébiscité depuis plusieurs années par les politiques publiques. Un changement de paradigme pourrait être nécessaire afin de que le mode de vie de l’espèce humaine dans nos sociétés actuelles soit davantage en harmonie avec les cycles de vie et les besoins des autres espèces.
EPA : Quelles sont les prochaines étapes pour poursuivre ce sujet de recherche ?
A. B. : Je poursuis mes travaux dans la Direction Energie-Environnement du CSTB, notamment dans le cadre de sa feuille de route Biodiversité. Nous sommes par exemple en cours de finalisation d’une nouvelle convention de recherche EpaMarne-CSTB, dont l’objectif principal est d’augmenter le niveau de maturité (TRL) des outils biodiversité afin de les rendre « user-friendly » pour les acteurs de l’aménagement.
Un partenariat pour améliorer la biodiversité en ville
EpaMarne, le CSTB et le Muséum National d’Histoire Naturelle ont développé au travers d’une thèse – une méthodologie pour évaluer les interactions entre les systèmes urbains et la biodiversité. L’originalité du projet de recherche est son caractère hybride, qui visait à faire converger l’approche ex situ basée sur l’analyse du cycle de vie – et l’approche in situ du diagnostic écologique associé à un espace déterminé. L’objectif pour EpaMarne, qui cofinançait cette thèse, était de disposer d’outils d’aide au choix pour privilégier les scénarios de construction les plus favorables à la biodiversité et donc de limiter son déclin. Le développement durable et la préservation de l’environnement font partie de l’ADN d’EpaMarne. De la chaîne des lacs à la bio-urbanité, les EPA ont à cœur de construire la ville tout en maintenant le lien entre l’Homme et la nature. La prise de conscience est aujourd’hui collective, avec notamment la loi pour la reconquête de la biodiversité adoptée en 2016 dans les réglementations portant sur l’aménagement urbain.
- Étiquettes RECHERCHE ET DÉVELOPPEMENT