Le 6ème classement Choiseul “Ville de demain” récompense les jeunes leaders de moins de 40 ans qui imaginent et développent la ville de demain en France. Retrouvez l’interview de Vincent Le Rouzic, directeur de projet stratégie et innovation, lauréat de cette nouvelle édition.
Le classement de l’institut Choiseul Ville de demain récompense les professionnels qui inventent la ville de demain . Pouvez-vous nous en dire plus sur les enjeux de la ville nouvelle ?
Je ne sais pas si on peut parler d’un « modèle » unifié de la ville nouvelle, tant les expériences portées à Marne-la-Vallée, Cergy-Pontoise où j’ai fait une partie de mes études, le Plateau-de-Saclay (ville nouvelle de facto mais qui ne se revendique pas comme telle) où j’ai travaillé pendant trois ans, sont singulières. Toutefois, malgré le bilan parfois contrasté de certaines de ces expériences, il me semble qu’au moins deux traits distinctifs des villes nouvelles reviennent pleinement d’actualité au moment de relever le défi des limites planétaires. Le premier est un retour à la planification actuellement porté au plus haut niveau de l’Etat pour relever le défi du réchauffement climatique : sur ce point, de nombreuses leçons sont à tirer de l’expérience de la planification territoriale des villes nouvelles. Le second concerne la maîtrise foncière publique qui est plus que jamais un enjeu essentiel pour relever le défi du ZAN : les politiques de maîtrise foncière préexistantes aux villes nouvelles ont permis de favoriser les conditions économiques d’un urbanisme piloté présentant une bonne intensité urbaine au regard des espaces artificialisés. Les villes nouvelles sont parfois montrées du doigt car elles ont été créées presque « ex-nihilo » dans des zones agricoles, mais c’est oublier que l’essentiel de l’artificialisation des sols vient d’un urbanisme diffus, qui s’affranchit d’une vision partagée et transversale du territoire. Concernant les missions qui sont les miennes au sein de nos établissements, tout l’enjeu est d’identifier, améliorer ou inventer une nouvelle offre de produits et services permettant de poursuivre nos missions de planification et de maîtrise foncière de façon cohérente au regard des limites planétaires. Le défi n’est pas simple, mais foncièrement stimulant !
Vous intégrez le Top 200 des jeunes leaders qui transforment la ville. Comment s’est structuré votre engagement au service de l’aménagement des territoires au fil des années ?
Tout d’abord, permettez-moi de remercier l’institut Choiseul pour cette distinction. Concernant mon parcours, je pourrai rationnaliser les choses a posteriori pour vous présenter un parcours pleinement cohérent, mais la réalité est tout autre : mon parcours s’est structuré par tâtonnement, par détour, au gré des lectures et des rencontres. Voici quelques exemples : je ne me serai pas autant intéressé à la problématique foncière sans une expérience très opérationnelle chez un promoteur immobilier, à la suite de la rencontre déterminante de Roland Cubin dans un forum d’entreprise. Je serai probablement passé à côté des community land trusts, qui ont inspiré les organismes fonciers solidaires, si je n’étais pas tombé sur un article de Jean-Philippe Attard (2013). C’est là où tout mon sujet de thèse a commencé (Le Rouzic, 2019). De même, mon arrivée à EpaMarne-EpaFrance est là aussi en grande partie le fruit d’une rencontre, avec Noémie Houard, lors de la remise du Prix de thèse sur la ville. La distinction de l’institut Choiseul doit beaucoup à l’ensemble de ces rencontres et lectures. Enfin, concernant mon engagement professionnel, je dirai que la ligne directrice de mon parcours est de contribuer, d’une part, à croiser les mondes de la recherche et des opérationnels pour identifier de nouveaux chemins de traverse, et, d’autre part, à réunir les dimensions écologiques, sociales et économiques associées aux sols pour relever le défi de la transition.
Si vous deviez partager à la jeune génération, celle qui concevra la ville d’après-demain, une personnalité à lire, à suivre, celle qui a pu nourrir votre engagement, quelle serait-elle ?
C’est une question très difficile, tant la ville est une œuvre collective, un palimpseste, un territoire en tension entre les dimensions conçues, vécues et perçues de l’espace. Dans cette perspective, un détour par l’histoire est indispensable pour situer ses propres réflexions et sa pratique. Aussi, je conseillerai de lire l’anthologie de l’historienne Françoise Choay « L’urbanisme, utopies et réalités» qui, malgré sa parution en 1965, demeure toujours une référence en la matière. J’apprécie cet ouvrage qui souligne l’importance à la fois des utopies et du principe de réalité dans l’urbanisme. Les deux sont souvent opposés, alors qu’il faut les articuler. Après, dans mes travaux de recherche sur le foncier, j’ai inscrit ma réflexion dans le sillage de l’œuvre de l’économiste américaine Elinor Ostrom (2012). Je recommande aussi la lecture de ses travaux, qui proposent une approche à la fois originale et riche en étudiant la gouvernance polycentrique des systèmes économiques complexes, en concevant la propriété comme un faisceau de droits et en proposant une typologie plurielle des régimes de propriété, au-delà de la dichotomie classique entre propriété publique et privée.
Inventer la ville du futur, cela signifie quoi pour vous ? Quels enjeux ? Pour quelles ambitions ?
Face au défi climatique, un des derniers ouvrages du philosophe Bruno Latour (2017) nous invitait à « atterrir », la question étant de savoir « où ? » et « comment ? ». Inventer la ville du futur, c’est donc d’abord atterrir. Or, la ville est un palimpseste, la ville du futur est déjà en grande partie là. A rebours d’un discours en progression à l’encontre des métropoles, je demeure convaincu que ces territoires constituent une grande partie de la solution face au défi climatique : la densité permet de déployer à des coûts plus soutenables pour nos finances publiques les « communs » nécessaires à la décarbonation de la ville : transports en commun par le rail ou la route, les réseaux de chaleur urbains, etc. Mais prendre au sérieux l’idée d’« atterrir », c’est aussi littéralement, recomposer notre rapport à la terre. Et de ce point de vue, les marges de progression en ville, comme en secteur agricole, sont considérables. Dans le sillon historique tracé par les cités-jardins, de la genèse du concept par Howard (1898) à sa déclinaison opérationnelle par des générations d’urbanistes, c’est à mon sens autour de l’idée d’une « cité permaculturelle », que nous pourrions projeter le nouveau rapport, plus fertile, de la société des urbains avec les sols. La permaculture est ici à entendre comme « un projet de réconciliation avec l’univers végétal » (Picon, 2023, p.26) au travers d’une réappropriation active de la fonction nourricière des sols par les habitants eux-mêmes. La devise des permaculteurs « prendre soin de la terre, prendre soin des humains » peut constituer une boussole pour notre métier d’aménageur. La singularité de cette approche qui attire mon attention, c’est l’économie de moyens pour un résultat hautement qualitatif sur la multifonctionnalité des sols (potentiel agronomique, biodiversité, stockage carbone, fonction hydrique, etc.) : « faire le plus possible avec, et le moins possible contre » pour reprendre la formule consacrée par le jardinier Gilles Clément (1991). L’aménageur peut jouer un rôle majeur pour favoriser l’émergence de ces solutions.
Bibliographie
Attard, Jean-Philippe, 2013, Un logement foncièrement solidaire : le modèle des community land trusts, Mouvements, 74, 143-153.
Clément, Gilles, 1991, Le jardin en mouvement, Editions Pandora.
Choay, Françoise, 1965 « L’urbanisme, utopies et réalités. Une anthologie », Editions du Seuil.
Latour, Bruno, Où atterrir ?, 2017, Editions La Découverte.
Le Rouzic, Vincent, 2019, Essais sur la post-propriété : les organismes de foncier solidaire face au défi du logement abordable, thèse de doctorat, Urbanisme, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
Howard, Ebenezer, 1898, Tomorrow : A peaceful path to real reform.
Ostrom, Elinor, 2012, Par-delà les marchés et les États : la gouvernance polycentrique des systèmes économiques complexes. Revue de l’OFCE, 120, 13-72.
Picon, Antoine, 2023, Natures urbaines, histoire et actualité d’une question politique et technique, note d’auteur de La Fabrique de la Cité.